Nous nous rendons au Children le 12 novembre. L’échographie cardiaque dure longtemps. On nous fait sortir de la salle et on nous demande d’attendre dans le corridor, puis on nous demande d’entrer à nouveau pour vérifier certaines informations. Les médecins entrent et sortent de la pièce et chuchotent des termes médicaux que nous ne comprenont pas. Après une écho qui dure près d’une heure en tout, Dr. Béland nous accueille dans son bureau. Elle nous demande de nous asseoir, elle sort un coeur en plastique et elle commence à nous expliquer les différentes parties du coeur et son fonctionnement. Je sais qu’il s’agit d’une mauvaise nouvelle alors je suis incapable de me concentrer et j’ai une envie folle de l’interrompre pour lui dire : “je m’en fou du fonctionnement du coeur, peux-tu juste me dire c’est quoi sa maladie”?!? Finalement, nous apprenons qu’Adam souffre de trois malformations cardiaques : communication interventriculaire (CIV), communication interauriculaire (CIA) et un retour veineux anormal du poumon droit. Je me sens comme si le sol s’écroule sous mes pieds. C’est impossible, c’est irréel, ça ne peut pas nous arriver à nous d’avoir un enfant malade. Pourquoi nous? Pourquoi notre beau Adam? Alex est le plus démonstratif et craque. Il demande si un enfant comme ça peut avoir une vie normale et pleure devant ce médecin que nous ne connaissons pas. Dr. Béland ne peut nous répondre clairement car elle suspecte d’autres problèmes et c’est pourquoi elle nous donne un rendez-vous pour un MRI (résonnance magnétique) pour la semaine suivante.
Ce soir là, lorsque nous revenons à la maison, nous sommes silencieux dans l’auto. Je ne peux pas croire la nouvelle que je viens d’apprendre; ils se trompent et le MRI va montrer qu’ils ont tord et que notre bébé est en parfaite santé.
Lorsque j’arrive à la maison, j’appelle ma mère pour lui annoncer la mauvaise nouvelle et j’éclate en sanglots. Ensuite, je pleure et je hurle dans les bras d’Alex : “Je ne veux pas le perdre, je l’aime”!!!! Il vient de sortir de mon ventre il y a seulement deux semaines, et déjà je le perdrais? J’ai mal dans tous mes os, dans tout mon corps et ni pleurer ni crier ne peut appaiser ma douleur. Nous ne pouvons nous laisser aller trop longtemps dans notre peine car Adam a besoin de nos soins. Nous mettons de côté notre désespoir pour nous occuper de lui…il nous rappelle que la vie doit continuer. Mes parents, mon frère et un ami, eux aussi sur le choc, viennent pleurer avec nous et nous apporter du réconfort. Je les serre fort dans mes bras, aussi fort que je le peux pour essayer d’estomper ma douleur, mais rien n’y fait: la douleur et la peine reste.
Le 20 novembre, nous nous présentons à l’hôpital pour le MRI. Nous patientons dans la salle “préop” et l’anesthésiste vient prendre Adam dans ses bras. Il nous dit : “j’en prends soin comme si c’était le mien”! Cela nous rassure, et malgré notre inquiétude, nous nous disons qu’il n’y aura rien de plus grave que ce que l’on sait déjà. Une fois Adam sorti de cet examen nous le retrouvons à la salle de réveil au 10è étage. En passant les portes, je vois mon petit ange de 3 semaines qui respire difficilement et qui a l’air tellement minuscule dans son grand lit d’hôpital. Il a le regard perdu, encore dans les vapes de l’anesthésie.
On nous annonce qu’Adam devra passer la nuit à l’hôpital et un seul parent peut rester à son chevet….je décide de rester puisque j’allaite et que je souhaite prendre soin de lui. Alex doit quitter et aller dormir seul à la maison. La séparation est difficile et il est incapable de partir. À ce moment-ci nous étions loin de nous douter qu’il s’agissait de la première nuit d’une longue série de nuits séparés l’un de l’autre. La nuit est très difficile car Adam compense pour avoir été à jeun donc il se réveille a chaque heure pour boire! Nous comprendrons plus tard qu’il demandait à boire si souvent parce qu’il n’avait pas l’énergie pour se nourrir à sa faim, que cela lui demandait un trop grand effort. Après une nuit presque blanche (qui s’ajoute à ma grande fatigue puisque je ne suis pas encore remise de la fatigue de mon accouchement), Adam est admis aux soins intensifs pour détresse respiratoire. Pour donner une idée, la normale pour le taux de CO2 dans notre sang est d’environ 40. Le taux de CO2 d’Adam est de 79!
Encore une fois, Dr. Béland a la dure tâche de nous annoncer des mauvaises nouvelles, car elle connait les résultats du MRI. Je me souviens qu’elle insiste encore une fois pour qu’on s’asseoit. Nous sommes dans le corridor des soins intensifs, près de la salle des parents et je prends place dans une chaise berçante, mais Alex préfère rester debout. Nous recevons une énorme giffle : en plus de ses malformations cardiaques, son poumon droit ne fonctionne pas. Il est sous développé (hypoplasie) et malformé (en forme de fer à cheval). De plus, son coeur est situé à droite (dextrocardie) et il souffre d’hypertension pulmonaire sévère . En fait, il souffre d’une maladie congénitale très rare : le syndrome du cimeterre. Un syndrome qui est caractérisé par une association de malformations pulmonaires et cardiaques. Je ne me souviens pas de ma réaction tellement je devais etre fatiguée et dépassée par toutes les mauvaises nouvelles. Nous encaissons le coup, mais je ne suis pas sûre que nous comprenons à quel point sa maladie est grave et sa santé, fragile.
Le lendemain, Adam a droit a un cathéter interventionnel afin de bloquer sa veine cimeterre. Cette veine apporte un grand volume de sang à son poumon séquestré. Alex se fait expliquer les risques de l’intervention et doit signer un consentement sur le champ. Tout se passe tellement vite. Comme cette intervention comporte un certain risque nous sommes très inquiets. Nous suivons Adam le plus loin possible et lorsque la porte se referme sur nous, je pleure dans les bras de mon homme. Tout cela devant les regards des gens qui attendent dans la salle d’attente. Normalement, nous sommes assez pudiques et nous ne démontrons pas trop nos émotions en public, mais là je m’en fou, je ressens le besoin de vivre mes émotions maintenant et intensémment. Nous trainons quelque part dans l’hôpital, probablement à la cafétéria durant la procédure. Lorsque l’intervention est terminée, nous interceptons la civière sur laquelle son petit corps est déposé. Son teint est blême et il est toujours inconscient. Cette image restera à jamais gravée dans ma mémoire ainsi que le sentiment d’impuissance qui l’accompagne. Je pense que c’est à ce moment précis que je réalise à quel point mon bébé est gravement malade. J’ai le goût de le prendre et de le bercer, mais je ne peux le faire car il doit retourner aux soins intensifs et nous devons attendre qu’il soit stable avant de pouvoir simplement être à son chevet.
Le cardiologue qui a pratiqué l’intervention nous rencontre à son bureau et nous explique ce qu’il vient d’effectuer. Nous sommes soulagés de savoir que tout s’est bien déroulé. Par contre il nous met en garde : Adam a gagné cette bataille, mais la guerre s’en vient. Il devra subir une importante chirurgie cardiaque dans le futur.
Adam reste aux soins intensifs pour quelques jours. Les parents ne peuvent dormir au chevet de leur enfant aux soins intensifs. Il n’y a qu’une salle pour les parents avec une dizaine de sofa-lit cordés, donc aucune intimité et aucune tranquilité. Nous sommes déchirés de laisser notre enfant et de quitter l’hôpital, mais nous le savons entre bonnes mains. Le ratio infirmière/patient est de 1 pour 1. Adam a donc son infirmière privée qui le surveille et comble le moindre de ses besoins.
Arrivés a la maison, nous avons devant nous toutes les choses d’Adam : son lit, la balançoire, sa petite chaise, son moise, ses vêtements, sa table à langer, etc…mais nous n’avons pas Adam. Notre bébé n’est pas avec nous, à la maison comme tous les autres bébés, il est à l’hôpital car il est gravement malade.
Nous allons tous les jours à l’hôpital pour passer le plus de temps possible avec lui. Nous le berçons, nous chantons et nous lui donnons tout l’amour du monde. Mais chaque soir, nous avons de la difficulté à partir et à le laisser pour la nuit, c’est comme si on laissait une partie de nous à l’hôpital.
Après plusieurs jours aux soins intensifs sa situation respiratoire s’améliore et nous descendons au 7è étage. En plus de problèmes respiratoires, Adam souffre de jaunisse sévère qui persiste au délà de la jaunisse du nouveau-né. Il a également besoin d’un peu d’oxygène pour l’aider à bien saturer. Nous devons investiguer ses problèmes de santé avant de pouvoir quitter l’hôpital. Nous apprenons à la dure à nous familiariser avec le milieu hospitalier. On nous installe dans une chambre à partager (quatre patients). Les lits sont séparés par un simple rideau et il y a de la place pour un divan qui se transforme en lit, une chaise de plastique et le lit d’hôpital. Tout semble tranquille au départ mais tout à coup, notre voisin se met a crier. Nous apprenons que c’est un déficient et il crie presque sans arrêt en se frappant la tête avec une guitare en plastique . Je me mets à pleurer : ce n’est pas vrai que nous allons vivre dans ces conditions durant plusieurs jours! Déjà que je ne dors pas beaucoup car je dois allaiter aux trois heures et en plus, je dois supporter tout ce bruit durant toute une soirée et peut-être même plusieurs jours! Heureusement, en début de soirée ce voisin reçoit un calmant alors on a un repos de ses cris et puis le lendemain matin, il quitte la chambre.
Chaque jour, c’est la même routine : une prise de sang vient tirer Adam du sommeil. Les médecins en ont besoin pour essayer de comprendre son petit corps. Adam n’apprécie pas du tout et c’est la crise à chaque fois. Je ne sais plus quoi faire pour le consoler. Je colle mon visage contre le sien et je lui parle doucement : “ça va bien aller mon coco, calme toi, maman est là, c’est bientôt fini”….mais je regarde l’échantillon de sang dans la petite tige de plastique et je vois que seulement le quart de la quantité requise a été prélevé tellement il ne saigne pas facilement…donc ce n’est pas vrai que c’est bientôt fini. Adam a déjà l’air épuisé et sa journée ne fait que commencer. Il hurle tellement qu’il devient rouge vin avec les lèvres bleues. Il me regarde avec ses petits yeux terrorisés et en douleur ayant l’air me demander : pourquoi me fais-tu subir tout ca, pourquoi me fais-tu souffir? J’ai juste le goût de frapper le technicien qui fait la prise de sang et de me sauver en courant avec mon bébé. De me sauver pour éviter d’être témoin de sa souffrance et d’être à côté de lui, impuissante. De me sauver car je me sens si coupable de ne pouvoir offrir à mon bébé une vie normale. Une vie ou il peut se réveiller à la maison dans le calme et la joie. Lorsque la prise de sang est terminée il est blême, faible et en sueur. Je suis épuisée, j’ai le goût de pleurer et de hurler avec Adam. J’ai faim, j’ai soif et je ne me suis pas douchée depuis 3 jours , mais la seule la seule chose qui m’importe, c’est de consoler mon bébé. Je le prends dans mes bras et je le berce avec tout l’amour que je suis en mesure de lui donner, en espérant qu’il se remette de ses émotions et qu’il puisse se sentir en sécurité. À cause des nombreuses prises de sang requises, nous devons reporter les traitements pour ses pieds, car ses talons doivent rester accessibles, il ne peut donc porter ses plâtres.
En plus des cardiologues et des pneumonologues, plusieurs spécialistes viennent observer Adam et nos journées sont très remplies. On peut presque dire qu’il y a une file de gens qui doivent attendre leur tour pour effectuer leur consultation. À chaque visite, un stress supplémentaire s’ajoute car nous avons peur d’apprendre d’autres mauvaises nouvelles.
Les GI (gastroentérologues) tentent de comprendre pourquoi son taux de birilubine direct et indirect reste élevé. S’agit-il d’une autre maladie qui est reliée au foie? Toute cette incertitude nous apporte beaucoup d’inquiétudes. Pourrait-il vraiment être encore plus malade que ce que l’on sait déjà? Adam doit subir plusieurs tests pour savoir s’il a des problèmes de foie. Échographie du foie (son foie est-il malformé?), test de sueur (a-t-il la fibrose kystique?), observation de ses yeux par l’ophtalmo (a-t-il des cataractes?) et plusieurs autres tests du genre. Finalement, rien ne semble anormal, alors la cause de sa jaunisse devient inconnue. Nous apprenons que plusieurs enfants cardiaques ont des problèmes de foie à la naissance car c’est un organe très sensible qui devient surchargé lorsqu’un enfant a des problèmes de santé.
Nous recevons également la visite d’une nutrionniste car comme plusieurs bébés cardiaques, Adam commence à avoir de la difficulté à prendre du poids. Je dois donc commencer l’allaitement mixte. Je tiens à lui donner du lait maternel, mais il n’est pas assez calorique. Je dois donc commencer à lui donner mon lait au biberon puisque je dois le fortifier, c’est à dire y ajouter une poudre de formule pour le rendre plus calorique.
Nous rencontrons aussi une physiothérapeute car Adam est né avec un torticolis et il place toujours sa tête du même côté lorsqu’il est couché. Il a donc besoin d’exercices d’étirements pour éviter de développer une plagiocéphalie (tête plate).
Le 3 décembre, donc environ 3 semaines plus tard, nous obtenons finalement notre congé d’hôpital…mais nous avons une pile de rendez-vous dès la semaine suivante! Au menu : suivi en cardiologie et prises de sang. Mais nous sommes tellement heureux de rentrer à la maison qu’on s’en fou! Nous en profitons pour dîner aux sushis de l’autre côté de la rue et pour prendre une belle marche avec la poussette au parc près de la maison. Nous sommes heureux d’avoir du bon temps et de retrouver une vie quasi-normale avec notre ti-coco!