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Mère d'Adam Richer

Comment SURvivre, c’est à dire, essayer de se convaincre que tout va bien

Au mois de mars dernier, Adam a subi des tests pour nous permettre de mieux comprendre son cœur et ses poumons. Nous avons appris que non seulement son poumon droit ne lui sert pas, mais qu’en plus, il est nuisible pour lui. Un trop grand volume de sang y circule et il n’emprunte pas le bon chemin. Le sang d’une personne normale passe dans le côté droit du coeur, puis dans les poumons pour se faire oxygéner, se dirige ensuite dans le côté gauche du coeur et puis parcours le corps. Chez Adam, un grand volume de son sang circule en boucle, sans jamais se diriger du côté gauche du coeur, ni dans son corps. Le sang va dans les poumons, puis revient du côté droit du cœur et retourne dans les poumons. Cela fatigue beaucoup son cœur qui travaille très fort pour rien. Pour ne pas aider son cas, son poumon gauche est également malade. Ses bronches et bronchioles sont malformées à certains endroits. Et la cerise sur le sundae : la plupart des corrections effectuées lors de sa chirurgie cardiaque ont été “contournées” par son corps! Avec la médecine, nous tentons de défaire ce que la nature a fait. Son corps a été créé pour fonctionner d’une certaine façon et nous essayons de le déprogrammer. Son corps refuse de changer et lutte pour revenir à son état “normal”. La veine qui avait été reconnectée au bon côté du cœur, à gauche, a “séché” et le sang n’y circule plus. L’autre veine qui avait été ligaturée passe maintenant inaperçue car le corps d’Adam a créé ce qu’on appelle des “collatéraux”. Il s’agit d’un grand nombre de minuscules veines que l’on peut comparer à une toile d’araignée.

Avec tout ça, nous avons encore le même problème : l’hypertension pulmonaire reste trop élevée.

Pour vous permettre de mieux comprendre ce que c’est HTP:

“L’hypertension pulmonaire est une maladie caractérisée par un rétrécissement progressif des vaisseaux pulmonaires. Cette obstruction partielle amène une élévation de la pression dans les vaisseaux pulmonaires. Le coeur, qui doit propulser le sang à travers les poumons pour l’oxygéner, se fatigue progressivement (insuffisance cardiaque droite) en raison de cette élévation marquée de la pression des vaisseaux pulmonaires.
Source: http://www.coeurpoumons.ca/patients/maladies-respiratoires/hypertension-pulmonaire/

Deux solutions sont suggérées. Il faudrait, par cathérisme,  aller poser un occludeur pour bloquer son artère pulmonaire droite pour éliminer la circulation sanguine inutile dans son poumon droit ou bien encore, retirer complètement son poumon droit (pneumonectomie). Comme il s’agit de procédures importantes, notre cardiologue nous mentionne qu’elle souhaite organiser une rencontre avec plusieurs spécialistes pour déterminer quelle serait le meilleur traitement.

Suite à cette rencontre, nous avons le verdict : Adam n’aura pas de cathéter interventionnel pour bloquer son artère pulmonaire droite, pas plus qu’il aura une chirurgie pour pour retirer son poumon droit. En fait, il ne subira aucune intervention. Je vous épargne les détails médicaux complexes, je vais résumer : c’est beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup trop risqué. Adam a présentement une belle qualité de vie considérant son état de santé. C’est un petit garçon très heureux, curieux et souriant. Les médecins ne croient pas que le jeu en vaut la chandelle. Soupir de soulagement oui, car pas de chirurgie. Mais sanglot en même temps car cela veut dire qu’il n’y a pas de solution proposée pour éliminer son hypertension pulmonaire.

Il y a quelques années, un enfant diagnostiqué avec cette grave maladie avait peu de chance de survie. Ce n’est que tout récemment que l’on comprend un peu plus les causes, que l’on peut proposer certains traitements et offrir une meilleure espérance de vie. J’ai lu cette semaine que l’une des plus grande combattante de cette maladie au Canada est décédée. Elle s’est battue 20 ans et elle a perdu son combat. Elle a été dans les premières à faire l’usage de certains nouveaux médicaments. Elle était âgée de 65 ans, donc elle n’est pas née avec cette maladie. Et elle n’avait pas d’oxygène 24 heures sur 24. Adam lui, oui. Puis-je déduire qu’il a 20 ans (ou moins) d’espérance de vie? Lorsque j’ai mis mon enfant au monde, je croyais qu’il avait toute la vie devant lui. Comment puis-je essayer de SURvivre avec cette pensée?

Adam devient donc une petite bombe à retardement. On ne sait pas quand ses veines pulmonaires en auront assez, pas plus que l’on sait quand son corps n’aura plus envie de répondre au traitement d’oxygénothérapie ou encore aux médicaments. À ce que j’ai pu comprendre, notre seule avenue pour le moment est d’essayer des médicaments pour tenter d’optimiser son état.

Il y aurait une autre option. Un dernier recours. Une transplantation coeur-poumons. Si nous épuisons les autres ressources et traitements, nous y arriverons. Pour l’instant, j’aime mieux ne pas penser à cette option.

Je préfère de loin SURvivre avec lui. Avoir espoir de le voir marcher, parler, dessiner, aller à l’école, lire. Je suis incapable de ne pas espérer être témoin de toutes ces étapes dans la vie de mon enfant. Peut-être que certains diront que je me mets la tête dans le sable, telle une autruche. Moi je leur répondrais que j’essaie simplement de me convaincre que tout va bien, que j’ai le droit d’espérer. Je crois que dans ma situation, il s’agit de la meilleure auto-protection possible. Celle de vivre chaque journée et de ne pas trop penser à “si”. Je ne peux vivre chaque journée avec cette douleur et cette peine. C’est humainement impossible. Je ne pourrais me lever chaque matin. Je dois donc faire comme si tout va bien, comme si on a toute la vie devant nous.

Ce qui compte c’est que pour l’instant, Adam veut vivre car son corps répond aux traitements. Alors *tout va bien*, ok?!?

Un an…déjà

Non, il ne s’agit pas de l’anniversaire de naissance de mon fils. Adam a un autre anniversaire : celui de sa chirurgie cardiaque. Le 18 mars 2014 est une journée que je ne pourrai jamais oublier. Une journée de terreur. Une journée où j’ai confié mon bébé de 4 mois et demi à un chirurgien afin qu’il lui sauve la vie. Quand la civière a quitté mon champ de vision devant la salle d’opération, je ne savais pas si on allait me le rendre vivant. Et les chances ne jouaient vraiment pas en notre faveur. C’est le pire sentiment que j’ai pu vivre. La frayeur de jouer avec la mort.

Heureusement, c’est Adam qui a gagné. Mais le combat n’est pas fini. Adam fait encore de l’hypertension pulmonaire et les médecins font tout pour tenter d’en trouver la source. Parce que vivre avec de l’hypertension pulmonaire, c’est comme vivre avec le cancer : tu ne sais pas combien de temps tu as devant toi. La mort peut être soudaine comme elle peut s’étirer et se faire souffrante. Nous ne voulons aucun de ses scénarios et nos médecins non plus.

Nos cardiologues ont de la difficulté à résoudre le casse-tête qu’est Adam. Dans la boîte du casse-tête, il leur manque des pièces. Les poumons d’Adam sont très compliqués. Ils sont anormaux (surtout le droit) et il est très difficile de les comprendre.

Après le cathétérisme du début février, notre cardiologue avait établi son plan de match : refaire un cathétérisme interventionnel pour aller bloquer l’artère pulmonaire droite. Cette artère est considérée comme la possible source de l’hypertension pulmonaire car elle cause une “overcirculation” de sang dans ses poumons. Son cœur travaille donc très fort inutilement pour faire circuler du sang qui ne sert à rien car il n’est pas oxygéné. En fait, cette artère aurait du être ligaturée lors de sa chirurgie cardiaque mais le chirurgien n’a pas clampé la bonne. Prudence ici dans votre interprétation de mes propos. Mon idée est de donner une information et non pas de critiquer le chirurgien. Cet homme a quand même sauvé la vie de mon fils et je vais lui être reconnaissante toute ma vie pour ça. Je me souviens lorsque j’ai rencontré le chirurgien tout de suite après la chirurgie. Il m’avait dit : “Il y avait beaucoup de sang, je devais me dépêcher, j’en ai vu deux, j’en ai clampé une. J’espère que c’est la bonne”. Il s’avère que nous savons maintenant que ce n’était pas la bonne. Mais justement, peut-être que s’il avait clampé la bonne, Adam n’aurait pas survécu à la chirurgie et qu’il ne serait plus avec nous…de l’autre côté de la médaille, peut-être aussi qu’il serait en pleine forme et que nous n’en serions pas là aujourd’hui…mais cela ne sert à rien de penser ainsi. Ce qui compte maintenant c’est d’identifier et de régler le problème.

Dans ce but, Adam a subit un VQ scan. C’est un test pour comprendre la ventilation (air dans les poumons) et la perfusion (sang dans les poumons). Il doit inhaler des particules radioactives et avec le scan on peut voir où les particules se sont déposées dans ses poumons, et ainsi connaître le pourcentage de ses poumons qui fonctionne. Jusqu’à maintenant tout semble bien simple non? Et bien surprise! Les résultats obtenus lors de ce test ne concordent pas avec les résultats des autres tests! Par exemple, la partie supérieure postérieure de son poumon gauche est la partie qui apparaît la plus belle sur les images (xray, ct scan, etc.), mais le VQ scan démontre que c’est une partie non-ventilée. Et il y a plusieurs autres parties de ses poumons qui ne font pas de sens dans le même genre.

Voilà pourquoi Adam aura d’autres tests à passer cette semaine.  le 18 mars plus précisément. Quel drôle de coïncidence! Adam aura encore une fois une anesthésie pour un IRM et un autre CT scan. Le but est d’aller pointer des parties spécifiques pour les analyser.

Notre cardiologue veut s’assurer de n’avoir aucun doute avant d’effectuer une procédure. Elle souhaite avoir en main toute l’information nécessaire avant de bloquer cette fameuse artère pulmonaire droite. Car une fois qu’elle sera bloquée, on ne peut pas revenir en arrière et les conséquences pourraient être désastreuses. Même si je n’ai pas envie qu’Adam passe *encore* des tests, je suis tout à fait d’accord avec sa façon de penser.

Comme j’aimerais cesser d’attendre…

Définition du Larousse : “Attendre : Différer d’agir jusqu’à ce que quelque chose se produise, jusqu’à une certaine date”. J’aimerais tellement la connaître cette fameuse date. La date ou je cesserai d’attendre et que je pourrai enfin, peut-être, un peu planifier un avenir pour mon enfant et un avenir pour ma famille. Pouvoir vivre plus loin que “une semaine à la fois”. Mon souhait serait d’une grande simplicité : savoir que mon enfant va vivre et ne plus anticiper d’hospitalisations et/ou de mauvaises nouvelles. Voilà.

Le 3 février, le matin du cathétérisme, nous patientons avec Adam dans la salle pré op. Avec l’accord de l’anesthésiste nous pouvons l’accompagner dans le cath lab jusqu’à ce qu’il soit endormi. Dès que nous le déposons sur la table d’examen, il est apeuré et il pleure. Nous lui flattons les cheveux et je lui dis : “fais des beaux dodos mon grand”. Ses pleurs se calment, son regard devient vide…il est parti. Nos cœurs se serrent et nos yeux se remplissent de larmes.

Adam et maman avant le cathéter
Adam et maman avant le cathéter

Il est environ 8h15, nous sommes dans la salle des parents sur un sofa, nous attendons. À 9h30, le cardiologue vient nous parler. Il nous avise que la procédure débutera plus tard que prévu. Ça fait 1h30 que l’anesthésiste tente de trouver des bonnes veines sur Adam pour lui faire une intraveineuse. Adam a toujours été comme ça. Ses veines sont fuyantes et brisent facilement. Finalement, l’anesthésiste a opté pour le IV sur la tête. Bon. L’attente continue.

J’essaie de dormir, j’en suis incapable. Je me surprends à me demander combien de temps, depuis la naissance de mon garçon, ai-je passé à attendre en silence, mon homme à mes côtés? La réponse : trop de temps. On se regarde, nous sommes nerveux. J’essaie de passer le temps comme je peux : Alex m’offre de lire, mais à quoi bon, je suis incapable de me concentrer. Je mange mon sandwich, je fixe le mur, je lis les affiches publicitaires dans la pièce, j’observe la vieille tapisserie, je pense à Adam, je vais aux toilettes, j’imagine Adam inconscient sur la table d’examen, j’imagine que ce matin, c’était la dernière fois que je voyais son beau sourire, j’essaie de chasser cette pensée. Je tente à nouveau de dormir, je retourne aux toilettes, je vais acheter des muffins. Nous voyons d’autres parents entrer dans la salle, puis y sortir. Ils peuvent partir à la maison avec leur enfant. Déjà. Ils ont tous des bonnes nouvelles. Nous, qu’est-ce qu’on fait? On attend. Attendre me demande beaucoup d’énergie. Cela use mon corps à cause de l’inactivité et cela épuise ma tête à cause des mauvaises pensées. Combien de journées, d’heures, de minutes, de secondes ai-je été dans cet état d’esprit? Attendre que le temps passe. La vie nous donne du temps en cadeau. Dans les moments comme ceux-ci, c’est du temps gaspillé car il m’est impossible de l’utiliser. C’est du temps perdu. Du temps suspendu. J’aimerais passer par-dessus ce laps de temps. Mais en même temps pas trop, car dès fois j’aimerais revenir dans le temps. Juste de quelques heures pour mettre mon nez dans le creux de son petit cou et sentir sa bonne odeur. Il me manque déjà mon beau Adam. Les mains moites, l’oreille alerte à tout bruit qui pourrait nous paraître suspect, nous anticipons la venue du cardiologue dans le cadre de porte afin qu’il nous donne les nouvelles que nous voulons entendre : que tout va bien. L’attente devient insupportable. J’appelle l’infirmière de cardiologie, espérant qu’elle puisse se faufiler dans le cath lab pour nous donner des nouvelles. Elle me rappelle me disant que le cath est terminé. Adam est présentement en écho et ensuite, il aura son CT scan. Il devrait monter à la salle de réveil d’ici une quarantaine de minutes. Soupir de soulagement, pas de complications. L’attente achève. On a un timeline. Je peux reprendre un peu le contrôle de mes émotions.

Quelques minutes plus tard, le cardiologue spécialiste qui a pratiqué le cathéter vient nous parler. Finalement, il n’a pas fait d’intervention, il n’a pas pu bloquer d’artères ou de veines. Adam est trop complexe. Par contre, il est satisfait des images et des données qu’il a réussi à obtenir. Pendant ce temps, la civière avec le petit corps d’Adam passe à nos cotés. Il est extubé, ses yeux sont à moitiés ouverts et son regard est vide. Je retourne prendre mes effets dans la salle d’attente. Des larmes coulent sur mes joues. Des larmes de soulagement oui, mais aussi de peur. Il n’a rien pu faire? Quelle sera la suite? Qu’est-ce qui nous attend? Nous pouvons aller le voir. J’essuie mes larmes. Il a un pleur rauque à cause de l’intubation. Il n’est pas lui-même, encore trop perturbé par l’anesthésie. Ça me fait toujours mal de le voir ainsi, car on dirait qu’il ne nous reconnait pas. Nous voulons le rassurer. Nous ne pouvons le prendre. Il se tortille, il est épuisé et il veut dormir mais il est trop insécure, trop apeuré pour se laisser aller tout de suite.

Adam à la sortie du cathéter
Adam à la sortie du cathéter

Plus tard dans la journée, notre cardiologue vient nous voir. Elle n’a pas pu analyser toutes les données, elle vient seulement nous donner un premier jet d’infos. Ils ont été surpris par les images. Comme la nature est bien faite dans un sens. Le corps de notre petit garçon tente de contourner les corrections effectuées lors de sa chirurgie. Adam est un casse-tête. Les images doivent être revues et analysées par toute l’équipe. Lorsque ce sera fait, nous aurons un plan de traitement. Elle nous parle à nouveau de la possibilité d’une pneumonectomie au poumon droit. La boîte de Pandore tant redoutée est grande ouverte. Je vois les prochaines étapes dans ma tête: soins intensifs, hospitalisation prolongée, sevrage…tout est à revivre une seconde fois. Dans un sens, je me dis qu’on serait “chanceux” de revivre tout ça, car cela voudra dire qu’Adam sera toujours parmi nous. Cette fois-ci, ce n’est pas une gifle, c’est un coup de poing…on doit continuer notre combat. On ne peut pas retirer nos gants et il faut rester debout, même si nos forces faiblissent.

Nous n’avons pas le temps de vivre nos émotions car Adam a besoin de nous. Adam est enflé et mutilé par toutes les tentatives d’intraveineuse, il a des bleus partout pauvre coco! Nous partageons notre chambre avec un petit bébé qui doit avoir 2-3 semaines de vie et qui s’époumone. Adam est très sensible aux bruits et les pleurs le réveille. Adam pleure à son tour. Je le console, il se rendort. L’infirmière vient faire les signes vitaux, changer son pansement, vérifier son enflure, s’assurer qu’on essaie de lui donner un peu de lait malgré ses nausées, etc. Adam se réveille. Je le console, il se rendort. Le bébé à côté est à son tour réveillé par les pleurs d’Adam alors il pleure et il réveille à nouveau Adam…et ainsi va la nuit. Je crois avoir réussi dormir quatre heures (sur trois périodes de sommeil), c’est un exploit. 

Lorsque nous sommes (enfin) de retour à la maison, la routine reprend. La vie semble en suspens pendant qu’on est à l’hôpital, mais la réalité nous rattrape vite à notre retour. J’ai le goût de me coucher pour pleurer et dormir durant douze heures, mais je dois me retrousser les manches : il faut faire à souper, donner les médicaments, préparer le lait, défaire les bagages, faire du lavage, donner un bain, préparer la liste d’épicerie et planifier le menu de la semaine, payer les comptes. Même si on est toujours dans l’attente, il faut faire comme si rien n’était, car la vie continue.

Je dois appeler notre cardiologue mercredi prochain. Elle aura consulté son équipe et déterminé un plan d’action pour les traitements de notre beau Adam. D’ici là, il faut tenter de ne pas trop y penser et…attendre.

Mon conjoint et moi ne sommes pas plus courageux que les autres. Nous sommes des survivants et nous tentons de maîtriser l’art de l’attente.