Comme j’aimerais cesser d’attendre…

Définition du Larousse : “Attendre : Différer d’agir jusqu’à ce que quelque chose se produise, jusqu’à une certaine date”. J’aimerais tellement la connaître cette fameuse date. La date ou je cesserai d’attendre et que je pourrai enfin, peut-être, un peu planifier un avenir pour mon enfant et un avenir pour ma famille. Pouvoir vivre plus loin que “une semaine à la fois”. Mon souhait serait d’une grande simplicité : savoir que mon enfant va vivre et ne plus anticiper d’hospitalisations et/ou de mauvaises nouvelles. Voilà.

Le 3 février, le matin du cathétérisme, nous patientons avec Adam dans la salle pré op. Avec l’accord de l’anesthésiste nous pouvons l’accompagner dans le cath lab jusqu’à ce qu’il soit endormi. Dès que nous le déposons sur la table d’examen, il est apeuré et il pleure. Nous lui flattons les cheveux et je lui dis : “fais des beaux dodos mon grand”. Ses pleurs se calment, son regard devient vide…il est parti. Nos cœurs se serrent et nos yeux se remplissent de larmes.

Adam et maman avant le cathéter
Adam et maman avant le cathéter

Il est environ 8h15, nous sommes dans la salle des parents sur un sofa, nous attendons. À 9h30, le cardiologue vient nous parler. Il nous avise que la procédure débutera plus tard que prévu. Ça fait 1h30 que l’anesthésiste tente de trouver des bonnes veines sur Adam pour lui faire une intraveineuse. Adam a toujours été comme ça. Ses veines sont fuyantes et brisent facilement. Finalement, l’anesthésiste a opté pour le IV sur la tête. Bon. L’attente continue.

J’essaie de dormir, j’en suis incapable. Je me surprends à me demander combien de temps, depuis la naissance de mon garçon, ai-je passé à attendre en silence, mon homme à mes côtés? La réponse : trop de temps. On se regarde, nous sommes nerveux. J’essaie de passer le temps comme je peux : Alex m’offre de lire, mais à quoi bon, je suis incapable de me concentrer. Je mange mon sandwich, je fixe le mur, je lis les affiches publicitaires dans la pièce, j’observe la vieille tapisserie, je pense à Adam, je vais aux toilettes, j’imagine Adam inconscient sur la table d’examen, j’imagine que ce matin, c’était la dernière fois que je voyais son beau sourire, j’essaie de chasser cette pensée. Je tente à nouveau de dormir, je retourne aux toilettes, je vais acheter des muffins. Nous voyons d’autres parents entrer dans la salle, puis y sortir. Ils peuvent partir à la maison avec leur enfant. Déjà. Ils ont tous des bonnes nouvelles. Nous, qu’est-ce qu’on fait? On attend. Attendre me demande beaucoup d’énergie. Cela use mon corps à cause de l’inactivité et cela épuise ma tête à cause des mauvaises pensées. Combien de journées, d’heures, de minutes, de secondes ai-je été dans cet état d’esprit? Attendre que le temps passe. La vie nous donne du temps en cadeau. Dans les moments comme ceux-ci, c’est du temps gaspillé car il m’est impossible de l’utiliser. C’est du temps perdu. Du temps suspendu. J’aimerais passer par-dessus ce laps de temps. Mais en même temps pas trop, car dès fois j’aimerais revenir dans le temps. Juste de quelques heures pour mettre mon nez dans le creux de son petit cou et sentir sa bonne odeur. Il me manque déjà mon beau Adam. Les mains moites, l’oreille alerte à tout bruit qui pourrait nous paraître suspect, nous anticipons la venue du cardiologue dans le cadre de porte afin qu’il nous donne les nouvelles que nous voulons entendre : que tout va bien. L’attente devient insupportable. J’appelle l’infirmière de cardiologie, espérant qu’elle puisse se faufiler dans le cath lab pour nous donner des nouvelles. Elle me rappelle me disant que le cath est terminé. Adam est présentement en écho et ensuite, il aura son CT scan. Il devrait monter à la salle de réveil d’ici une quarantaine de minutes. Soupir de soulagement, pas de complications. L’attente achève. On a un timeline. Je peux reprendre un peu le contrôle de mes émotions.

Quelques minutes plus tard, le cardiologue spécialiste qui a pratiqué le cathéter vient nous parler. Finalement, il n’a pas fait d’intervention, il n’a pas pu bloquer d’artères ou de veines. Adam est trop complexe. Par contre, il est satisfait des images et des données qu’il a réussi à obtenir. Pendant ce temps, la civière avec le petit corps d’Adam passe à nos cotés. Il est extubé, ses yeux sont à moitiés ouverts et son regard est vide. Je retourne prendre mes effets dans la salle d’attente. Des larmes coulent sur mes joues. Des larmes de soulagement oui, mais aussi de peur. Il n’a rien pu faire? Quelle sera la suite? Qu’est-ce qui nous attend? Nous pouvons aller le voir. J’essuie mes larmes. Il a un pleur rauque à cause de l’intubation. Il n’est pas lui-même, encore trop perturbé par l’anesthésie. Ça me fait toujours mal de le voir ainsi, car on dirait qu’il ne nous reconnait pas. Nous voulons le rassurer. Nous ne pouvons le prendre. Il se tortille, il est épuisé et il veut dormir mais il est trop insécure, trop apeuré pour se laisser aller tout de suite.

Adam à la sortie du cathéter
Adam à la sortie du cathéter

Plus tard dans la journée, notre cardiologue vient nous voir. Elle n’a pas pu analyser toutes les données, elle vient seulement nous donner un premier jet d’infos. Ils ont été surpris par les images. Comme la nature est bien faite dans un sens. Le corps de notre petit garçon tente de contourner les corrections effectuées lors de sa chirurgie. Adam est un casse-tête. Les images doivent être revues et analysées par toute l’équipe. Lorsque ce sera fait, nous aurons un plan de traitement. Elle nous parle à nouveau de la possibilité d’une pneumonectomie au poumon droit. La boîte de Pandore tant redoutée est grande ouverte. Je vois les prochaines étapes dans ma tête: soins intensifs, hospitalisation prolongée, sevrage…tout est à revivre une seconde fois. Dans un sens, je me dis qu’on serait “chanceux” de revivre tout ça, car cela voudra dire qu’Adam sera toujours parmi nous. Cette fois-ci, ce n’est pas une gifle, c’est un coup de poing…on doit continuer notre combat. On ne peut pas retirer nos gants et il faut rester debout, même si nos forces faiblissent.

Nous n’avons pas le temps de vivre nos émotions car Adam a besoin de nous. Adam est enflé et mutilé par toutes les tentatives d’intraveineuse, il a des bleus partout pauvre coco! Nous partageons notre chambre avec un petit bébé qui doit avoir 2-3 semaines de vie et qui s’époumone. Adam est très sensible aux bruits et les pleurs le réveille. Adam pleure à son tour. Je le console, il se rendort. L’infirmière vient faire les signes vitaux, changer son pansement, vérifier son enflure, s’assurer qu’on essaie de lui donner un peu de lait malgré ses nausées, etc. Adam se réveille. Je le console, il se rendort. Le bébé à côté est à son tour réveillé par les pleurs d’Adam alors il pleure et il réveille à nouveau Adam…et ainsi va la nuit. Je crois avoir réussi dormir quatre heures (sur trois périodes de sommeil), c’est un exploit. 

Lorsque nous sommes (enfin) de retour à la maison, la routine reprend. La vie semble en suspens pendant qu’on est à l’hôpital, mais la réalité nous rattrape vite à notre retour. J’ai le goût de me coucher pour pleurer et dormir durant douze heures, mais je dois me retrousser les manches : il faut faire à souper, donner les médicaments, préparer le lait, défaire les bagages, faire du lavage, donner un bain, préparer la liste d’épicerie et planifier le menu de la semaine, payer les comptes. Même si on est toujours dans l’attente, il faut faire comme si rien n’était, car la vie continue.

Je dois appeler notre cardiologue mercredi prochain. Elle aura consulté son équipe et déterminé un plan d’action pour les traitements de notre beau Adam. D’ici là, il faut tenter de ne pas trop y penser et…attendre.

Mon conjoint et moi ne sommes pas plus courageux que les autres. Nous sommes des survivants et nous tentons de maîtriser l’art de l’attente.

2 réflexions au sujet de « Comme j’aimerais cesser d’attendre… »

  1. Comme ton amie dit, les mots nous echappent tous pour vous offrir le recomfort supreme que vous avez bien gagne ces derniers 15 mois+. Sachez que nous sommes a vos cotes, si non en corps, du moins en esprit/pensee durant toutes ces periodes si traumatisantes que vous traversez. Je ne peux qu’esperer que vous sentiez nos energies positives sur lesquelles vous appuyez pour alleger un peu votre lourd fardeau emotif et ‘consumant’. Nous vous souhaitons a tous les trois que vous puissiez enfin gouter une vie normale; ne lachez surtout pas. Notre amour vous entoure. Courage, courage.
    Nicole.

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